Article

07Avril2020 à 17h38

Adolescence, adolescents et confinement…

Adolescence, adolescents et confinement…Quelques réflexions à l’usage des parents.

Dr Emmanuel Thill, pédopsychiatre, le Vert à Soi (Tournai).
 
Situation particulière depuis quelques semaines, le confinement en famille renvoie les parents et l’adolescent à une expérience inédite : vivre sous le même toit presque 24 heures sur 24, se supporter (dans tous les sens du terme), gérer l’anxiété inhérente à la gravité de cette pandémie et construire un vivre-ensemble créatif et suffisamment épanouissant.

Le processus adolescentaire est aussi mis à l’épreuve, notamment dans de nouveaux équilibres à trouver entre espace d’intimité et moments vécus ensemble en famille, entre respect des règles du vivre-ensemble et désir de liberté, d’horizon ouvert, d’expériences nouvelles…

Autour de ces différentes dimensions, des tensions intra-familiales peuvent se réveiller, se renforcer, voir même ébranler l’équilibre relationnel de certaines familles. Ce phénomène est d’autant plus important qu’il entre en résonance avec des fragilités déjà présentes chez certains adolescents ou chez certains parents. Par exemple, tel adolescent fonctionnant habituellement sur un mode persécutif se retrouve cerné par les autres membres de sa famille, et réagit agressivement à ce qu’il perçoit comme des intrusions. Tel autre jeune, peu confiant en lui et habituellement envahi par une dépressivité, vit le confinement comme une épreuve supplémentaire insurmontable et se replie dans son lit, ressassant des idées négatives qui le rapprochent d’un état dépressif. Tel parent enfin ne parvient plus à gérer suffisamment son anxiété, et déborde par différents symptômes, par exemple des troubles du sommeil.

Pour d’autres familles, surprises elle-même par leurs capacités de résilience, ce repli momentané est synonyme de temps relationnel créatif, où l’on retrouve la saveur de la rencontre prolongée entre membres de la famille, où l’on apprécie les petits bonheurs familiaux rendus visibles grâce au ralentissement du rythme quotidien. Cela peut être intéressant de garder les traces de ces trouvailles familiales, pour se souvenir de ces moments qui ont fait du bien. Cette période particulière apparaît d’ailleurs pour certains ados comme une bénédiction, particulièrement pour ceux en tension avec le système scolaire classique, par exemple les jeunes souffrant de certaines phobies scolaires. Etre confiné tous ensemble, c’est aussi faire l’expérience de la non-séparation (à durée encore indéterminée), et cela rassure tous les jeunes pour lesquels toute forme de séparation est un point sensible…

Les parents veilleront à mettre du sens sur le confinement : les décès récents mais heureusement rares d’adolescents atteints du Covid19 ont agi chez certains adolescents comme un véritable révélateur du danger, avec une dose de stress supplémentaire.

La structuration des journées par les parents sera également essentielle, en étant attentif à ne pas trop s’éloigner du rythme habituel : inviter à un éveil pas trop tardif en semaine, définir le temps de travail scolaire, offrir des temps d’écrans suffisant (notamment pour permettre les contacts avec les pairs) tout en les limitant, préserver des temps hors-écrans tels les repas en famille ou certaines activités collectives, définir une heure de coucher raisonnable…Il est important néanmoins de ne pas structurer les journées de manière trop rigide : il faut une certaine souplesse, une certaine tolérance dans cette expérience de vie particulière, pour garder vivant un dialogue avec l’adolescent. De même, les parents accepteront que leur adolescent passe du temps dans sa chambre ou dans un autre lieu de la maison connoté comme étant son lieu à lui, sans chercher en permanence à le relier à la vie familiale collective qui convient mieux aux enfants plus jeunes.

Pour métaboliser plus facilement les émotions envahissantes ou tout simplement pour nourrir le vivre-ensemble, les parents peuvent proposer des temps de discussion en famille, inspirés par des notions telles que la communication non-violente et la pratique de la gratitude entre chacun : se remercier les uns les autres pour des services rendus, des efforts accomplis, des initiatives qui ont fait du bien…Dans cette optique également, l’utilité sociale de chacun sera valorisée : applaudissements pour les soignants, contacts envers des personnes isolées de la famille élargie, écriture de lettres pour des personnes âgées en maison de repos…Les créations médiatisées permettent également une libération émotionnelle positive et peuvent être reconnues par le collectif familial : écriture d’une chanson, petit journal du confinement vidéofilmé, réalisations artistiques…

Du côté des thérapeutes d’adolescents, il importe de demander des nouvelles de l’adolescent et de sa famille, sans être intrusifs, sans vouloir à tout prix « courir » derrière le jeune. Nous pouvons faire proposition de moments d’échange par vidéo, qui se dérouleront parfois comme des séances de consultation. Toutefois, je remarque que l’entretien vidéo ne correspond pas à tous les jeunes : certains écourtent l’échange, après avoir vérifié que le thérapeute ne les oubliait pas. D’autres ont du mal à s’investir dans ce mode de communication, car ils se sentent épiés par des parents à proximité…Parfois un simple appel téléphonique ou un message sécurisé par e-mail peut correspondre à certains jeunes : ces moyens « préhistoriques » pour certains adolescents leur conviennent assez souvent car ils leur permettent la distinction entre la communication avec leurs pairs et celle avec les adultes.

Enfin, vivre le confinement c’est aussi commencer à penser l’après-confinement…Bien sûr, beaucoup d’adolescents aspirent à ce moment de libération et pensent à tout ce qu’ils vont pouvoir y faire. Ne négligeons toutefois pas, en tant qu’adultes, de les écouter également dans leurs interrogations, dans leurs doutes : comment le scolaire va se réenclencher, comment seront les relations « pour de vrai » avec les copains, comment la relation avec la petite copine aura évolué ? Ces questions peuvent se superposer à d’autres interrogations des parents et, là aussi, une mise en mots familiale sera particulièrement utile en distribuant la parole à chacun.

fra
1